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Franco-Iranien, Emmanuel Razavi est grand reporter. Spécialiste du Moyen-Orient, il couvre l’actualité iranienne pour Paris Match, Franc-Tireur, Écran de Veille, VA. Il est auteur d’une dizaine de livres sur le Moyen-Orient. Il vient de publier « la face cachée des mollahs » (éditions du Cerf), une enquête de terrain qui l’a notamment conduit, durant plus d’un an, à la frontière irako-iranienne, en Israël et dans le détroit d’Ormuz, à la rencontre d’opposants iraniens, de combattants de l’ombre, d’anciens gardiens de la révolution islamique, de membres du régime iranien, ou d’un ex-agent infiltré.
Vous venez de publier un livre-enquête intitulé « La face cachée des Mollahs » (éditions du Cerf). Vous remontez à la genèse de la révolution islamique, en établissant une filiation avec la pensée des Frères Musulmans, pouvez-vous nous en dire plus sur l’influence de la confrérie sur l’Ayatollah Khomeini ?
Khomeini avait pour mentor un activiste chiite dénommé́ Navvâb Safavi, qui avait fondé en en 1946 le mouvement des Fedayins de l’Islam, dont le projet était d’instaurer en Iran un État islamique chiite. Si les Fedayins de l’Islam sont chiites et les Frères musulmans sunnites, des liens profonds les unissaient, en raison de leurs convergences idéologiques et révolutionnaires, les deux mouvements étant par ailleurs ultra-conservateurs, anticolonialistes, anti-impérialistes et antisémites. En 1953, Sayyid Qutb, l’un des théoriciens les plus durs de l’organisation des Frères musulmans, rencontra Safavi à à Jérusalem, selon les propos de l’écrivain et chercheur iranien Ramin Parham, éminent spécialiste de la révolution iranienne de 1979. Un an après leur rencontre, les Fedayins de l’Islam passent un accord avec la confrérie égyptienne qu’ils disent représenter en Iran. Ils se rebaptisent alors « Ikhuan al‐muslimin », autrement dit les « Frères musulmans » iraniens. Or à cette époque, Safavi côtoie Khomeini auquel il rend visite régulièrement. Khomeini fréquente aussi des membres des Fedayyins, qui appartiennent aux milieux commerçants du Bazaar de Téhéran, ce que m’a raconté l’un des pères fondateurs du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, Mohsen Sazegara. Bref, les théories fréristes vont inspirer Khomeini, notamment dans la mise en place de son conseil de la Guidance, mais aussi dans la création d’une milice paramilitaire qui aura le contrôle sur l’armée. En 1982, Umar Telmesani, alors guide de la confrérie islamiste, expliqua dans un journal égyptien : « Nous avons soutenu Khomeini politiquement parce qu’un peuple opprimé avait réussi à se débarrasser d’un dirigeant oppressif et à regagner sa liberté. » Dans les faits, la confrérie considérait à cette époque l’avènement de la République islamique comme sa propre victoire politique. »
Comment interpréter, alors, dans les conflit syrien, les oppositions entre factions armées fréristes sponsorisées par la Turquie et le Qatar, et le Hezbollah iranien d’autre part ? (la raison semble être économique avec Maher El Assad qui générait de l’argent avec son trafic de drogue, dont des responsables iraniens corrompus s’accommodaient bien volontiers).
La République islamique d’Iran a utilisé les réseaux fréristes au gré de ses intérêts. Un exemple marquant est celui du Hamas. Téhéran l’a soutenu en fonction du gain politique que cela représentait à ses yeux, et aussi dans le cadre de sa guerre asymétrique contre Israël. La véritable création de Téhéran, c’est évidemment le Hezbollah libanais, réplique du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, qui a été fondé sur décret de Khomeini en 1982.
Malgré leur différences, la relation entre les deux organisations remonte à 1992, lorsque des cadres du Hamas s’établissent au Liban et décident de coordonner ponctuellement, avec le Hezbollah, des opérations paramilitaires et terroristes contre Israël depuis le sud du pays. Toutefois, pendant la guerre civile syrienne, le Hamas va tisser des liens avec les groupes terroristes sunnites issus du frérisme, s’opposer à Bachar et par voie de conséquence, à ses alliés du Hezbollah. Il entre alors, dès la fin 2011, dans une logique d’affrontement avec la milice chiite libanaise, laquelle obéit aveuglément à son maitre et créateur iranien qui soutient la dictature syrienne. Pourtant, malgré cette opposition, le Hamas continue de garder le contact avec Téhéran. Certains de ses dignitaires se rendent régulièrement dans la capitale iranienne jusqu’à ce que, finalement, un accord soit trouvé et que les deux mouvements se réconcilient.
Le Hezbollah, bien sûr, a profité de la guerre civile syrienne pour s’investir dans l’exportation de drogues de synthèse comme le captagon, aux côtés de Maher Assad, le frère du président syrien, quand l’agenda du Hamas répondait davantage à celui de ses maitres qataris et turcs.
Cet argent issu du trafic de drogue a notamment servi à l’achat d’armes pour le compte du Hezbollah, et a enrichi plusieurs de ses dignitaires, ainsi que des officiers de la force al Qods des gardiens de la Révolution et des membres du parti réformateur iranien. La Syrie, pour les mollahs, était d’une importance stratégique presque vitale, lui permettant d’avoir un accès à la Méditerranée, et une « ligne d’approvisionnement directe » avec le Hezbollah.
Une grosse partie de votre enquête se concentre sur les modes de financements des Gardiens de la révolution et des Mollahs, ayant recours à des trafics transnationaux de drogues, parmi lesquelles opium, héroïne, cocaïne et captagon. Pouvez-vous nous expliquer les mécanismes ?
Il faut remonter entre 1981 et1988, L’Iran et l’Irak sont alors en guerre. Les Gardiens de la Révolution islamique et les membres de leur milice civile, les Bassidjis, vont s’illustrer au cœur des combats. Des dizaines de milliers d’entre eux, parmi lesquels des enfants d’une dizaine d’années, tombent en “martyrs de la Révolution ».
Les activités économiques du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique débutent à la même période avec des micro-banques qui mettent à la disposition des vétérans de retour du front, des prêts à taux zéro. C’est en quelque sorte leur récompense pour services rendus à la nation. Avec cet argent, durant les années de la reconstruction, les pasdarans investissent dans différents business, et préemptent en quelques sortes l’économie du pays. Très vite, forts de tout cet argent, ils vont entrer en contact avec des cartels sud-américains, notamment via le Hezbollah. Ils vont alors investir dans différents trafics de drogue, ou d’armes, ce qui va générer des dizaines de milliards. Dès lors, ils vont mettre en place des circuits de blanchiment. Par le biais de bureaux de change en Turquie, mais aussi de casinos en Asie du Sud-Est, ou encore de fondations religieuses. Je raconte dans mon livre le système du U-turn. Et comment de l’argent sale, issu de ces trafics, parvient en toute légalité dans des banques internationales.
La fin de la route allant jusqu’au Liban, débouchant sur la Méditerranée, va-t-elle porter un coup dur à leurs exportations de drogue ?
Assurément, cela va les affecter. Mais ces groupes sont très imaginatifs, et savent remonter leurs filières. De plus, le Hezbollah n’utilise pas que la mer pour ses trafics. Il utilise aussi des avions, et des routes. Il bénéficie de toute une logistique mise à disposition par la République islamique d’Iran, ce que j’explique dans mon livre.
Des trésors sont accumulés par les apparatchiks iraniens dans des pays étrangers, est-ce un signe qu’ils imaginent que leur temps est compté et qu’il faut se mettre à l’abri pour préparer l’après régime ?
Oui. Les mollahs et les Gardiens de la Révolution les plus pragmatiques ont compris que leur république islamique était à bout de souffle. Ils placent depuis des années de l’argent et de l’or à l’étranger, et préparent une seconde vie en investissant dans des programmes immobiliers, et divers business.
Les lecteurs de votre livre sont surpris d’apprendre qu’il y a une banque iranienne ayant pignon sur rue à Paris, la banque Sepah. Est-ce une banque classique pour les nombreux iraniens de Paris, ou est-elle un rouage dans le blanchiment de l’argent des trafics ?
Historiquement, la Sepah est la banque de l’armée iranienne, et elle contrôlée, depuis l’avènement de la République islamique d’Iran, par le Corps des gardiens de la Révolution islamique. Elle dispose de filiales dans de nombreux pays, et entretient des liens parfois complexes avec des entreprises iraniennes et d’autres nationalités à travers le monde. J’ai enquêté à l’origine pour Paris Match sur ses liens avec le Corps des gardiens de la Révolution, et j’ai demandé à des avocats d’affaires, ainsi qu’à d’anciens membres du renseignement de m’aider à comprendre comment le système des sanctions internationales pouvait aussi facilement être contourné par la République islamique d’Iran en utilisant cet banque. En étudiant son fonctionnement, on comprend que tout a été pensé pour ne pas trop asphyxier l’Iran, et garder la possibilité de durcir les sanctions. Des réseaux, parmi lesquels la Sepah, ont donc profité de cette tolérance. Mais sur ce sujet, comme sur celui du trafic de drogue, il faut vraiment lire mon livre. Vous comprendrez alors que c’est une mafia religieuse qui tient tout le business en Iran, en même temps que l’appareil militaire et les trafics les plus obscurs, ce que je développe longuement.
Joseph Borell, Haut-Représentant de la diplomatie européenne, refuse de classer comme organisation terroriste les Gardiens de la révolution malgré l’évidence. Quelle en est la raison ?
La raison tient à la force du lobby iranien à Bruxelles, et des diplomaties européennes depuis des années. Il y a aussi le chantage au terrorisme, la diplomatie des otages. Borell est le fruit de quatre décennies de compromissions avec les mollahs. Mais là encore, je détaille tout cela dans mon livre-enquête, avec des exemples précis.