
Le Ramadan, période de tous les dangers en Algérie (étude statistique)
mars 6, 2025
La regrettée islamologue Anne-Marie Delcambre avertissait il y a vingt-ans « C’est par le soufisme que l’Europe succombera à l’islam ».
Sous ses airs inoffensifs et spirituels, aidé par des universitaires musulmans en faisant la promotion, comme le converti Eric Geoffroy, le soufisme essaime en France. Courant composé de plusieurs confréries établies de longue date dans le monde musulman, l’erreur d’analyse serait d’y voir un courant parallèle au sunnisme, s’extrayant du carcan chariatique, alors qu’il se superpose à la tradition sunnite sans invalider ses bases.
Une grosse étude de 500 pages de Ephraim Herrera intitulée Les maîtres soufis et les « peuples du livre » parue aux éditions de Paris dans la collection Studia Arabica dirigée par l’islamologue Marie-Thérèse Urvoy, a tenté d’analyser le sujet des attitudes des maîtres soufis quant au devoir du « combat sur la voie de Dieu » contre les juifs et chrétiens à travers l’histoire.
Nous en retranscrivons ici de larges extraits.
Les premiers ascétiques furent aussi des combattants et participèrent « avec bonheur » au jihâd contre les infidèles byzantins et Turcs, jihâd qui à cette époque était essentiellement offensif et ne pouvait donc recevoir l’excuse de légitime défense devant les attaques chrétiennes.
Ce fut le cas de l’ascète et proto-soufi Hasan al-Basri, contemporain des premiers califes qui « va au jihâd du côté de Kaboul, combat à Andoqân, et en Zâbolistan, aux côtés de Samorah-b. Jondob.1»
On ne peut attribuer cette participation aux guerres de conquête de l’islam à une obéissance aveugle aux dirigeants. En effet, s’il affirme qu’on doit respect et obéissance aux représentants du pouvoir, il ne se gêne pas pour critiquer vertement la nomination de Yazîd à la suite de Mu’awîya, déclarant que ce dernier avait fauté en léguant le pouvoir à son fils, « un ivrogne, qui se vêtait de soie, et jouait de la guitare », ou pour refuser de participer à toute forme de lutte intestine fratricide, ou encore pour critiquer les jurisconsultes de son temps. D’ailleurs n’a-t-il pas affirmé :
Je vous appelle à Dieu, disait Muhammad à toutes les fractions des Qoraysh, je vous annonce l’imminence de son châtiment. J’ai reçu mandat de guerroyer les hommes jusqu’à ce qu’ils confessent : « Pas de divinité, excepté Dieu ! »
Pour Hasan el-Basrî, l’appel à l’islam justifie la guerre.
Ce fut le cas aussi d’un des plus célèbres proto-soufis, Ibrâhîm b.Adham, qui, comme beaucoup de mystiques, émigra vers la Syrie, où il combattit contre les Byzantins. Issu d’une noble tribu arabe […] sa participation aux guerres de l’islam fut considérée comme une des composantes de son repentir, de sa tawba . La tradition rapporte que dans le cadre d’un raid en mer, le maître proto-soufi tint un rôle digne d’un homme saint : il aurait été à même de calmer la mer et de sauver le bateau.
Conformément au modèle d’ascètes mujâhidûn « moines le jour et lions la nuit », qui partaient d’une profusion de ribât-s [fortins] aux frontières de l’islam, Ibâhîm b.Adham , harmonieusement ascète et guerrier glorieux, serait mort en martyr lors d’un combat contre les Byzantins […]
Shaqîq al-Balkhî est connu comme étant le premier soufi à avoir défini le tawakkul comme le premier état spirituel (hâl). Originaire comme son maître de l’est de la Perse, il reste réputé pour sa participation au jihâd contre les Turcs. Al-Isfahânî rapporte la conception des combats de celui qu’on a nommé « le Saint du Khorâsân » :
Hâtim al Açam dit : Nous nous trouvions, Chaqîq et moi, dans une bataille contre les Turcs [païens]. On ne voyait que des têtes qui tombaient, des lances qui se rompaient, des sabres qui se brisaient. Chaqîq me dit : « Comment te sens-tu ? Est-ce comme la nuit où l’on t’as amené ta femme ? – O ! non par Dieu ! – Par Dieu moi je me sens tout à fait comme la nuit où l’on m’a amené ma femme. » Et il s’endormit entre les deux armées, la tête sur le bouclier. On entendait son ronflement paisible.
Il serait d’ailleurs mort comme shahîd -martyr- à la prise de Kawlâb.
Pour Ibn al-Mubârak, c’est la piété ascétique du guerrier qui rend sainte aux yeux de Dieu sa guerre contre les infidèles.
Deux traditions qu’il rapporte sans son kitâb al-jihâd illustrent son interprétation du monachisme comme exhortation au jihâd guerrier :
Chaque communauté a son monachisme, le monachisme de ma communauté est le jihâd pour l’amour d’Allah.
Le monachisme errant fut appelé devant le Prophète. Le Prophète dit : « Dieu nous a donné à sa place le jihâd sur Sa voie et le takbîr [l’acte de crier « Dieu est le plus grand !] sur chaque colline.
Ce même maître cite dans son Kitâb al-zuhd ces traditions au nom du Prophète, indiquant la centralité du jihâd :
Je vous prescris que vous vous devez d’avoir une foi ferme en Dieu, car il dirige toutes les choses, et je vous prescris le jihâd, car c’est le monachisme de l’islam…[On dit au Prophète], ‘O Messager de Dieu, renseigne-nous sur les ascétiques itinérants (suyyâh) !’ Et il dit, ‘L’ascétisme itinérant de ma communauté est le jihâd dans la voie de Dieu’.
De manière étonnante pour un esprit occidental, cet appel continu au jihâd s’accompagne d’un profond détachement du monde et de ses instincts, et d’une vision très épurée de la foi (…)
Ce mystique s’est d’ailleurs engagé lui-même dans le combat contre les Byzantins, alternant les pèlerinages à la Mecque et la participation au jihâd :
…L’Imam al-Dhahabî l’a appelé « la gloire des Mujâhidîn (combattants) » et a commenté : « Il était le chef des courageux …il avait l’habitude d’accomplir le Hajj une année et l’année suivante, il se tenait dans les batailles dans la Voie d’Allah ».
Son enseignement s’accompagnait de l’exemple vivant qu’il en donnait :
Ibn Abî Hâtim mentionne que lorsqu’il partait au combat et au ribât [fortin], il rassemblait les muhjâhidîn et leur enseignait le Hadîth. En arrivant, la première chose que faisait l’armée était d’entourer Ibn al-Mubârak, qui leur transmettait alors la connaissance et le hadith, qu’ils mettaient alors par écrit. Ils apprenaient de lui la connaissance tout comme ils apprenaient les compétences de guerre et de courage2.
Comme l’a bien indiqué Sizgorich, le jihâd guerrier trouve donc ici sa place comme acte de piété, comme moyen ultime d’union avec le divin, et donne son caractère spécifique ) l’ascétisme musulman :
Puis, l’ascétisme fit du jihâd un lieu dans lequel des actes de bravoure militaire ou de conquête (ou de simples attaques, vols ou meurtres) peuvent s’inscrire comme des actes de piété et comme des moments de communion avec le divin. Son association avec le jihâd, en retour, a clairement fait de l’ascétisme une expression musulmane de la piété, spécialement quand les premières communautés musulmanes ont élaboré les récits historiques qui ont construit la période de conquête comme une série de miracles militaires qui manifestaient le jugement de Dieu et Son bon plaisir3.
Il semblerait qu’en parallèle au fanâ’, l’anéantissement mystique en Dieu trouve son parallèle concret dans la mort en martyr au combat. Ces deux textes du maître Ibn al-Mubârak semblent conforter cette hypothèse. Le premier indique la valeur de la mort au combat, supérieure à celle de la vie familiale :
Un jour, le Prophète se tourna vers ses compagnons et demanda un volontaire pour une mission particulièrement dangereuse. Un homme exprima son zèle [se porta volontaire] puis partit se préparer à sa mission. Et le messager de Dieu dit, ‘Quiconque désire voir un homme préparer son éternelle place verte pour le monde à venir, qu’il regarde cet homme’ Et il se précipita vers ses proches, leur fit ses adieux, et sa femme saisit son vêtement et dit,’O Abû al-Sabu’, tu nous quittes, et nous allons périr.’, Et il se retira délicatement de son vêtement laissant ses proches derrière lui, se retourna vers eux et dit , ‘Le jour de la résurrection vous est promis.’Puis il fut tué4.
Le second loue le délice de la mort, difficilement compréhensible sans l’hypothèse de l’harmonie entre le fanâ et la mort au jihâd :
On interrogea une fois un homme. ‘La mort vous réjouit-elle ?’ Quand il répondit que la mort ne le réjouissait pas, son interlocuteur fit une grimace, ‘Je ne connais personne que la mort ne réjouit pas, sauf celui qui est inadéquat.’5
Quelque 350 plus tard, son « Kitâb al-jihâd » sera lu en public à Damas, et poussera des hommes à se porter volontaire au jihâd contre les Francs. […]
Le Shaykh Abû Ishaq Kâzarûnî, fondateur de l’ordre soufi connu sous le nom de Murshidiyya, Ishâqiyya ou Kâzarûniyya, se distingua par son soutien intensif au jihâd contre les Byzantins, appelant ses disciples à participer aux combats à la frontière byzantine, activité qui lui valut le titre élogieux de Shaykh-i Ghazi.
Il faut toutefois noter que certains considèrent les raids du shaykh comme des « raids spirituels » : il se serait contenter de rester en contact spirituel avec ses disciples combattants, intercédant en leur faveur quand il ressentait que leur chance tournait. Ainsi, lors d’un des combats des musulmans contre les Byzantins, alors que les musulmans se trouvaient en mauvaise posture, le Shaykh qui se trouvait loin du champ de bataille se serait levé soudainement :
…et prenant une douelle, il grimpa sur le toit de la mosquée. Il devint ardemment enthousiaste et faisait virevolter au-dessus de sa tête la douelle qu’il tenait en main comme s’il était engagé dans la bataille…un moment plus tard, le Shaykh sortit de cet état et rentra. Ses compagnons l’interrogèrent sur son comportement, ‘Au même moment l’armée de l’islam était tombée au mains des infidèles (kuffâr) et ils m’ont appelé à l’aide. Je les ai aidés et leur ai prêté assistance.’
Quand l’armée musulmane fut rentrée de la guerre contre les Infidèles, les compagnons du Shaykh demandèrent ce qu’il s’était passé. ‘Quand nous rencontrâmes les Infidèles et leur livrâmes bataille, le camp des Infidèle était nombreux et nous n’étions que peu…soudainement ils attaquèrent et nous craignîmes qu’ils nous anéantissent. Nous avons donc demandé l’aide du Shaykh…subitement nous aperçûmes un majestueux chevalier à la mine terrifiante nous porter secours. Il se tenait devant nos rangs, dégaina son épée, et affronta les Infidèles. Avec une fureur opiniâtre, il tranchait les têtes, les mains et les pieds des infidèles et aucun n’avait la force de lutter contre lui. Il séparait les têtes des Infidèles de leur corps comme des concombres et, en l’espace d’une heure, il les avait tous vaincu…Après ça nous fûmes victorieux des infidèles et tuèrent beaucoup d’entre-eux.’
Quand ils entendirent cette histoire, les compagnons du Shaykh observèrent que l’heure de cet évènement coïncidait avec celle où le Shaykh était monté sur le toit avec la douelle… 6
Kâzarûnî aurait donc utilisé ses forces spirituelles pour trancher comme des concombres les têtes des chrétiens lors du jihâd offensif contre Byzance. Ces récits nous informent que Kâzarûnî aurait encouragé les raids annuels contre les infidèles.
Au Xième siècle, Hujwîrî décrit dans son Kashf la vie de nombreux maîtres soufis, montrant bien, selon les traditions rapportées par ce maître, leur regard positif sur le jihâd guerrier. Ainsi, décrivant comme soufi l’imâm Uways al-Qaranî, il indique qu’il aurait combattu aux côtés du quatrième calife ‘Ali et serait mort en martyr à la bataille de Siffin(657), précisant :
Il a vécu pur et est mort martyr.7
Le père du grand maître soufi Rûmî, le Sultan des Savants Bahâ’ al-dîn Walad, saint homme vénéré tant par les grands de son temps que par toutes les populations au milieu desquelles il vécut, aurait considéré les biens conquis par ses ancêtres au jihâd contre les infidèles comme les biens les plus droits et les plus dignes , comme l’indique ce passage dans lequel il refuse les biens que lui offre le sultan de Konya :
Comme c’était l’usage des sultans et des grands de cette époque, on lui envoya toutes sortes de présents de bonne arrivée (nozol) ; mais il n’accepta rien de personne, disant : « Vos biens sont truqués et douteux ; j’ai suffisamment d’effets : j’ai encore quelque chose de l’héritage de mon père et de mes ancêtres, provenant des dépouilles opimes des incursions sur le territoire des infidèles. » Tout le monde s’émerveilla de sa piété parfaite et de son détachement…8
Celui qu’on surnommait « le Grand Maître » participa lui-même au jihâd, comme le rapporte son petit-fils :
Quand il montait à cheval pour une incursion, il semblait le lion de Dieu [‘Ali] chargeant l’ennemi.
Au douzième siècle, le chef des musulman Nûr al-Dîn [Zengî] (m.1174), dirigeant profondément croyant, qui « étudiait beaucoup les livres religieux…s’appliquait assidûment à la prière…ardemment désireux de faire le bien, modéré dans ses dépenses, austère à table et dans son habillement 9», propagea la notion de jihâd contre les Francs. Dès le début, il bénéficia du soutien des maîtres soufis, qui vantèrent son zèle militaire contre l’infidélité. Ainsi, en 1148, le poète soufi Ibn al-Qaysarânî écrivit à son propos :
Il est le glaive de l’islam et ne se repose que quand les jointures de l’infidélité ont été tranchées.10
Qui plus est, des soufis participent activement à ses combats. Ainsi, au siège de Banyas, on trouve « des volontaires, des docteurs de la Loi, des soufis et des dévots11 ». Comme l’indique Sivan, leur motivation était intrinsèque, et ne découlait ni de pression du pouvoir central, ni de récompense financière. Toutefois, comme il le note, ces soufis tirèrent de nombreux profits de ce soutien au dirigeant Nûr al-Dîn favorisant l’érection de la madrassa et de la khânqâh soufies, qui connurent un grand essor tant en Syrie qu’en Mésopotamie et en Egypte, et qui devinrent les propagateurs tant de l’hétérodoxie que du jihâd12.
Les historiens de l’époque nous fournissent de nombreux exemples de maîtres soufis appelant au jihâd et même y participant. A l’occasion du siège franc de la ville de Damas en 1148.l’ascète al-Hulhûlî répondit à l’émir de Damas qui l’enjoignait à quitter le combat à cause de son grand âge :
J’ai vendu et Il (Dieu) m’a acheté. Par Dieu ! Je ne romprai pas le marché et je n’en demanderai pas la résiliation.
Allah lui accorda le martyre, la shahâda, et il périt sous la charge de la cavalerie franque.
L’exemple le plus frappant du soutien de maîtres soufis aux guerres du prince zankide reste celui du saint patron de Damas (sâhib Dimashq), le shaykh Arslân Ibn Ya’qûb Dimashqî (m.1164). Elève du shaykh al-Mu’addib, le protecteur de Damas et de sa région fit construire un ribât à l’extérieur de Bâb Tûmâ (quartier à dominance chrétienne de Damas), exposé aux premières lignes d’un imminent conflit avec les Croisés, marquant ainsi sa volonté « de participer activement à la défense de Damas…13 » Et de fait, par deux fois, les Croisés tentèrent de s’emparer de la ville. Le shaykh et ses disciples participèrent activement au combat :
Lors de la deuxième croisade, en 1148, Conrad III et Louis VII firent l siège de la ville ; la situation devint périlleuse pour les Damascènes, dirigés encore par les Bourides Seldjoukides (Nûr al-Dîn ne s’empare de la ville que six ans plus tard). Mais les hommes de religion, rapportent les chroniqueurs, aiguisèrent tellement l’enthousiasme guerrier des assiégés qui ceux-ci battirent les Croisés en leur causant de lourdes pertes. Parmi les oulémas et les soufis ayant participé au combat se compte évidemment le cheikh Arslân, dont on nous dit qu’« il n’a manqué aucune bataille s’étant déroulé en Syrie ».
Le soufis soutinrent aussi son successeur, le grand Saladin, faisant souvent preuve d’une violence bien lointaine de l’image que l’on se fait habituellement des saints musulmans. Ainsi, après la victoire de Saladin contre le raid de Renaud de Châtillon en Arabie (1183), les prisonniers furent ramenés en Egypte, et mis à mort publiquement par des Soufis, des fuqaha’ et des dévots lors de défilés à Alexandrie et au Caire14.
[…]
Lors de la conquête de Beaufort (Qala’t al-shaqîf, aujourd’hui au Liban) en 1268, les pieux shaykhs participèrent au combat : « Chacun fit de son mieux pour combattre dans la Voie d’Allah autant que les circonstance le permettaient15 ».
Même si l’on peut comprendre la participation de soufis aux guerres contre l’ennemi qu’ils voyaient comme envahisseur, on ne peut comprendre cette soif cruelle de mettre eux-mêmes à mort des prisonniers chrétiens.
Un historien arabe rapporte la « douceur mystique » de ces Soufis :
Quant aux prisonniers, toutes les cordes des tentes ne suffirent pas pour les lier solidement ; J’ai vu trente à quarante captifs attachés à la même corde et menés par un seul cavalier ; j’en ai vu cent à deux cents sur un même emplacement, et surveillés par un seul gardien : prisonniers insolents, ennemis dépouillés, captifs naguère pourvus de trône, comtes devenus notre proie, cavaliers, notre gibier ; vies précieuses tombées à bas prix, visages assombris de Templiers déconfits, têtes sous des pieds, corps tout entaillés et fracturés.16
Ibn ‘Arabî rapporte avoir connu un maître soufi du nom d’Abû Muhammad ‘Abdallah al-Qattan, et mentionne sa ferveur à participer au jihâd contre les chrétiens en même temps qu’il vante son ascétisme. (…)
Parmi les maîtres soufis qu’il a rencontrés et dont il relate la vie, Ibn’Arabî consacre une courte note à Abû al-Abbâs Ahmad b. Hammâm, connu aussi sous le nom d’al-Shaqqâq, indiquant pour son mérite sa participation intensive au jihâd contre les Portugais :
Il était très fervent et pleurait sur son âme comme une mère qui aperdu son fils unique. Son père s’était opposé à ce qu’il entre dans la Voie et lorsque la situation empira, il me confia : « O mon frère, les choses deviennent très dures pour moi, mon père m’a chassé en me disant de subvenir seul à mes besoins. Aussi, je veux me rendre à la frontière afin d’y combattre les ennemis jusqu’à ma mort. » C’est ainsi qu’il partit pour Jerumenha (Portugal), et il y est encore à présent. Peu de temps après son départ, il revint à Séville pour prendre ses affaires, mais il repartit aussitôt pour rejoindre l’armée à la frontière…
L’ascendant du shaykh soufi Khadir b. Abî Bakr al-Mihrânî (1226-1277) sur Baybars, vint peut-être du fait que les prédictions du maître soufi se réalisaient toujours, en particulier pour ses conquêtes militaires :On notera qu’empêché d’entrer dans une confrérie soufie et contraint de gagner sa vie indépendamment, le maître soufi a préféré s’engager dans la voie classique du jihâd fi sabîl Allâh, et qu’Ibn Arabî n’y voit pas le moindre problème.
La génération suivante compta aussi des soufis dans les rangs des combattants du jihâd, comme par exemple le shaykh sufi hanbali ‘Abdallah al-Yûnînî (m.1220), qui combattit sous le règne d’al-Adil (1198-1218).
La présence massive de soufis sur les champs de bataille se retrouve sous les drapeaux du mamelouk Baybars, en particulier durant le siège d’Appolonia (Arsûf) en 1265, où son armée était accompagnée « d’hommes pieux, d’ascétiques, de savants de la loi et de pauvres soufis…17 »
Dans ce combat, de nombreux soufis importants sont rapportés nommément.
Jamais le shaïkh Khidr ne se trompa dans ses prédictions : c’est ainsi que pour toutes les citadelles, il annonça à al-Malik az-Zahir l’époque à laquelle il s’en emparerait, et jamais il ne se trouva en défaut.
Ces prières indiquent bien le soutien du maître à ces guerres de Baybars contre les Croisés.
[…]
Ce maître soufi, à l’intégrité morale douteuse, put donner libre cours à son rapport aux chrétiens et sans doute aussi aux juifs, témoignant d’une politique intégriste et violente, bien lointaine d’une modération à laquelle on aurait pu s’attendre de la part d’un shaykh soufi :
Ensuite, il saccagea à Damas l’église des Panthères18 et il y construisit des mihrabs19 ; il ravagea à Jérusalem une église, qui était connue sous le nom d’église de la Crucifixion20, laquelle était grande en vénération parmi les chrétiens ; il tua le curé de sa propre main, et il la transforma en monastère à son usage. A Alexandrie, il détruisit une église qui appartenait aux Grecs, et qui était un de leurs sièges patriarcaux ; c’était dans cette église qu’ils élisaient leur patriarche. Ils croyaient que la tête de Jean, fils d Zacharie, y était conservée. Il la transforma en une mosquée, à laquelle il donna le nom de al-Madrasat al-Khadra21.
- Rapporté par Louis Massignon. ↩︎
- Al-Râzî, al-kitâb lijarh wa’l-ta’dîl, Beyrouth : Dar Al-Kotob Al-ilmyah, 1952. ↩︎
- Sizgorich [2009],p.185 ↩︎
- Al-Mubârak, Kitab al-jihâd, Beyrouth : Hammad, 1978,#151, cité par Sizgoritch [2009], p.187. ↩︎
- Al-Mubârak, Kitâb al-zuhd, op.cit. ↩︎
- Mahmûd b.Utmân, Firdaws al murshidiyya fi asrâr al samadiyya, F.Meier and I.Afsar (éds.), Tehran : Kitâbkâna i-Dânis, 1954, pp.181-2 ↩︎
- Hujwîrî, Somme, p. 113 ↩︎
- Aflâkî, Manâqib,t.I, pp.22-23. ↩︎
- Abû Shâma, cité par Sivan, L’islam et la croisade, Paris, Maisonneuve, 1968,p.60 ↩︎
- Cité par Sivan [1968], p.69. ↩︎
- Ibn al-Qalânisi,p.340, cité par Sivan [1968], p.69 ↩︎
- Voir Nikita Elisséef, « Les monuments de Nûr al-Dîn »BEO XIII (1949-1951), pp.5-43 ↩︎
- Voir sur la biographie le premier chapitre de Geoffroy, Djihâd et contemplation, vie et enseignement d’un soufi au temps des croisades, Paris : Dervy, 1997, pp.13-36 ↩︎
- Abû Shâma, cité par Sivan [1968], p.98 ↩︎
- Ibn al-Furât Ta’rîkh al-duwal wa’l muluk ↩︎
- Al-Isfahânî,ibid.,p.29 ↩︎
- Reuven Amitai « Foot soldiers,militiamen and volounteers in the early Mamluk army », in:Chase F. Robinson (éd.), Texts, documents, and artefacts : islamic studies in honour of D.S Richards, Leiden : Brill, 2003, pp. 233-251 ↩︎
- Il s’agit sans doute de la « synagogue des juifs », Blochet lisant kanîsat al-fuhûd au lieu de kanîsat al-yahûd. ↩︎
- Il la transforma en mosquée. ↩︎
- Il s’agit sans doute du monastère de la Croix. ↩︎
- Mufaddal Ibn Abî al-Fadâ ‘il,p.459. ↩︎