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Si quidem, inquit, tollerem, sed
décembre 1, 2024
Paul Fenton nous présente son ouvrage L’exil au Maghreb – La condition juive sous l’Islam 1148-1912
janvier 1, 2025
Le CEMRI exhume les écrits oubliés d’un lanceur d’alertes algérien, dont la voix fut trop vite oubliée.
Ce nom est largement oublié. 1989, Bernard Pivot accueille le Grand Prix de l’Académie française, Rachid Mimouni (1945-1995), sur le plateau d’Apostrophes, et encense ce professeur d’économie fin observateur de la société algérienne, converti en romancier : « Peut-être ne connaissez-vous pas cet écrivain algérien de langue française et de grand talent qui s’appelle Rachid Mimouni », rappelant que son premier roman, Le fleuve interdit paru en 1982 « fut accueilli avec beaucoup d’éloges par la presse française. » Ce roman fut interdit quelques années en Algérie et lui vaudront « des problèmes policiers » confia-t-il sur le plateau d’Apostrophes. Son second roman le place « au tout premier plan des écrivains du Maghreb d’expression française » commente Pivot, et l’année suivante, en 1990, il obtint le fameux prix de l’Académie pour son roman La ceinture de l’ogresse (Stock).
Il jugea devant Bernard Pivot inadmissibles les appels aux meurtres contre Salman Rushdie pour ses Versets sataniques. Prudent, il critiqua lors de l’émission que la modernité n’ait été reçue en Algérie qu’au niveau des nouveautés technologiques mais sans contenir les valeurs modernes pouvant asseoir une respiration démocratique.
En 1992 il franchit le rubicon en s’en prenant aussi bien au régime des apparatchiks du FLN qu’aux islamistes venant de remporter les élections. Ainsi, la charge est contenue dans son essai intitulé « De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier » (éditions Le Pré au Clercs, 1992, Paris).
Lucide, il tire la sonnette d’alarme contre la kleptocratie au pouvoir, l’indolence du peuple se contentant de combines et d’expédients peu glorieux pour vivoter, et contre la démagogie des islamistes dont il démontre la dangerosité. Les intellectuels, qu’il juge passifs et préférant le « fumet de la soupe et les oripeaux du pouvoir », en prennent aussi pour leur grade.
L’envers du décor est détaillé par le menu, la planification-socialisation de l’économie, couplée à la corruption et au laissez-allé, ont tourné au fiasco. Pages 109 et suivantes :
« Lorsque, à partir de 1986, avec la chute du prix du pétrole, tomba le rideau et s’éclaira la salle, les spectateurs découvrir la catastrophe. Il fallut recourir aux sorciers du FMI et consentir aux sacrifices inscrits dans les grimoires. Dans un pays en décrépitude avancée, jeunes et vieux constatent que le téléphone marche mal, que les trains tombent en panne, que les mairies ne disposent pas des imprimés indispensables, que les ascenseurs ne fonctionnent pas, que les enfants n’apprennent pas à lire à l’école, que les hôpitaux refusent les malades et les blessés.
Les perturbations provoquées par l’exode massif des pieds-noirs en 1962, laissant un pays sans encadrement, n’ont jamais pu être corrigées. Trente ans plus tard, on ne peut se plaindre d’un manque de compétences.
Dans toutes les disciplines, les universitaires pullulent. C’est l’état d’esprit qui a changé. L’ouvrier qui vit dans un univers chaotique ne peut cultiver l’amour du travail bien fait. La négligence lui semble plus naturelle. La corruption généralisée déculpabilise le commerçant indélicat ou le fonctionnaire véreux qui se mettent à mépriser toutes les valeurs morales. Les privilèges exorbitants des membres de la nomenklatura incitent les citoyens à bafouer les lois. Les injustices quotidiennes rendent caduques les règles de l’équité. »
Puis Mimouni d’évoquer les anciens ouvriers agricoles de sa campagne, nostalgiques de leurs maitres maltais et calabrais qui les houspillaient lors des pauses, voyant maintenant tant de terres en friches…
L’analyse sociologique qui intéresse notre Centre de recherche sur l’islamisme réside en la description des mécanismes usés par les islamistes pour remporter l’adhésion des foules, et leur popularité réelle, estimée à 25 % de l’opinion par Mimouni.
« Les Occidentaux sous-estiment les dangers d’extension de l’islamisme. Une Algérie intégriste aurait joué un rôle capital dans le basculement de l’Afrique du Nord et des pays du Sahel, dont les populations sont majoritairement musulmanes. C’est d’abord la petite Tunisie qui aurait été prise en étau aux mâchoires algériennes et libyennes. Les partisans de Rached Ghannouchi auraient bénéficié des bases de soutien nécessaires. Armés et entrainés, ses activistes auraient été capable de prendre le pouvoir par la force. La jonction avec le Soudan de Hassan Tourabi aurait été faite. Au tour de l’Egypte de se trouver cernée. On aurait pu ainsi voir reprendre forme par morceaux le puzzle de l’ancien Empire musulman. » page 158.
Avec vingt ans d’avance, Mimouni savait possible la prise de pouvoir des Frères Musulmans de Rached Ghannouchi en Tunisie et en Egypte, et à quelle catastrophe on devait s’attendre. La pensée de Hassan Tourabi, partisan d’une charia inflexible et modèle des Frères, avait une influence en effet sous estimée par les Occidentaux.
Sa description de la montée en assurance des islamistes algériens, est un sérieux avertissement pour nous, lorsqu’ils atteignent la taille critique leur permettant l’arrogance, la morgue et l’activation de menaces tous-azimut envers leurs opposants :
Après avoir emporté la majorité des communes lors des élections de juin 1991, les intégristes eurent la conviction qu’ils se trouvaient aux portes du pouvoir. Face à un président qui se révélait des plus timorés, ils accrurent leur pressions. […] Les Algériens vont alors vivre une période de laxisme où chaque fait accompli du mouvement intégriste, bafouant l’autorité de l’État et défiant ses lois, repoussait les limites du tolérable.
Tous les vendredis, les dizaines de haut-parleurs des minarets diffusaient les discours d’imâms qui incitaient à l’émeute et appelaient au meurtre. Les exactions de leurs affidés fanatisés se multiplièrent. Lorsque certains de leurs hommes prirent d’assaut, haches en main, le tribunal de Blida, le chef du gouvernement de l’époque, Mouloud Hamrouche, n’osa pas les accuser en dépit des preuves formelles dont il disposait. Dans une autre ville, ils incendièrent la maison d’une femme divorcée qui avait commis le crime de recevoir chez elle un homme. Son fils, en bas âge, périt carbonisé. L’existence d’une filière qui envoyait des hommes s’entraîner auprès des maquisards afghans était de notoriété publique. Son siège se trouvait dans la mosquée Kaboul, à Belcourt, en plein coeur d’Alger. […] Les auteurs de délits arrêtés, s’ils se révélaient islamistes, voyaient leurs partisans faire irruption dans les commissariats pour exiger, et parfois obtenir leur libération immédiate, ou envahir le tribunal pour intimider et menacer le magistrat qui avait à juger de l’affaire. Les multiples exactions impunies commençaient à instaurer un climat de terreur. (pages 84-85)
Le romancier tance les commentateurs occidentaux, fixés sur la légitimité démocratique du FIS, alors qu’évidemment, les pré-requis d’une vie démocratique n’existent pas dans le logiciel des intégristes. La comparaison avec le totalitarisme brun, évidente trente ans plus tard, lui sautait déjà aux yeux :
Les Européens gardent un souvenir vivace de la barbarie nazie, parce que des millions d’entre eux l’ont subie dans leur chair. Mais, parce qu’ils vivent loin des dangers de l’intégrisme, ils estiment excessives ls comparaisons auxquelles on procède. Ils ne les entendent que comme introduction du procès en règle qui va s’en suivre. Tous les arguments mis en avant seront donc reçus avec scepticisme. Et pourtant, lorsqu’on observe les méthodes d’action du FIS en Algérie, on ne peut s’empêcher d’établir de troublants parallèles avec les mouvements fasciste italien et nazi allemand. On y remarque un même souci de distinction vestimentaires. Aux chemises noires ou brunes correspondent le qamis et la barbe. Leurs militants aiment se coudoyer dans d’immenses meetings afin de se compter et d’éprouver cet enivrant sentiment de puissance de se voir ainsi par milliers regroupés. Les mots d’ordre qu’ils clament finissent par acquérir un contenu magique. Fascisme, national-socialisme ou république islamique se retrouvent dotés d’un sens nouveau, radical et utopique. Une réelle solidarité et d’obscurs désirs de revanche les rapprochent. Ces mouvements se rejoignent dans leur volonté délibérée de recourir à la violence. Les partis se transforment en nébuleuses, laissant graviter à leur périphérie des groupuscules terroristes, des sectes d’illuminés, des fanatiques et des désaxés de tout genre. (pages 153-154)
Comment ne pas faire le lien avec les dizaines de « déséquilibrés » islamistes ayant frappés ces dernières années sur le sol français ? L’islamisme se repait de la piétaille illuminée prêt à aller au carton contre la police afin de « défendre l’honneur des musulmans opprimés » par quelques lois de bon sens contre le niqab ou le hijab à l’école. Rachid Mimouni continue :
Pour renforcer les rangs, on n’hésite pas à recruter dans la lie de la société les nervis qu’on enverra dans la rue le moment venu. Les Occidentaux, installés dans leur confort, ne croient pas au pire. Ils restent convaincus que l’intégrisme, parvenu au pouvoir, ne manquerait pas de renoncer à son intransigeance et d’assouplir ses principes devant les dures lois du pragmatisme. (page 154)
Nous l’avons vu dans les années 2000 avec les « islamistes modérés » soit disant incarnés par l’AKP de Tayyip Recep Erdogan, si rassurants que Michel Barnier, Jean Daniel ou encore Bernard Guetta plaidaient pour le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, fustigeant tous ceux qui étaient contre, accusés de provoquer un choc des civilisations. Ou comment inverser les causes et les conséquences.
Après avoir justement rappelé que les islamistes s’accommodent très bien de l’économie libérale, il anticipe les analyses angéliques des Occidentaux :
On ne manque pas non plus, s’agissant de l’Algérie, afin de récuser la comparaison avec l’Iran, de faire un subtil distinguo entre chiisme et sunnisme. On souligne les facteurs distinctifs de ces deux grandes branches de l’Islam. On relève que les partisans d’Ali sont les héritiers d’une vieille tradition radicale. On note que chez les orthodoxes sunnites il n’existe pas de clergé. Risibles nuances. Les actuels dirigeants soudanais, pourtant sunnites, ne s’en embrassent pas. Ils tentent, par les armes, d’imposer la même charia aux populations musulmanes du sud. Et l’Iran chiite envoie des milliers de soldats renforcer l’armée de Hassan Tourabi. En pariant sur la prévisible modération d’un régime intégriste, on oublie que sa base le pousse vers une radicalisation forcenée.
Les islamistes ne respectent pas les autres façons de vivre, là est le danger, car leur police islamique s’immiscera dans la vie privée de tous les citoyens, aucune convivialité n’étant possible. Les « salafistes quiétistes » ou autres billevesées prisées des sociologues occidentaux -en ce moment la mode est aux djihadistes respectueux en Syrie- ne sont que des leurres :
Le projet totalitaire des intégristes par du principe que la charia étant la loi divine, la voie de la vérité consiste à la suivre. On ne saurait tolérer que d’autres musulmans persistent dans l’erreur et les errements. La démocratie, simple invention humaine, doit céder le pas à la loi céleste. En ce sens, le principe majoritaire ne saurait être intangible, car si le plus grand nombre se trompe, il convient de ramener dans le droit chemin les brebis égarées plutôt que de se soumettre à leur volonté. De la même façon, cette logique rend inconcevable l’existence d’un espace privé. Puisque le Coran déconseille la consommation d’alcool, il convient de l’interdire, et tout individu qui transgressera la règle, même chez lui, sera puni. Cela autorise donc les gardiens de la foi comme en Arabie Saoudite dans les foyers pour vérifier qu’il ne se trouve aucune bouteille délictueuse. Les rapports sexuels hors mariages étant prohibés, toute femme – et non tout homme- qui entretiendra des relations coupables sera lapidée. Comment constater l’adultère, à moins de rentrer dans une pièce ? Tous les citoyens devront s’étendre sur la table de Procuste. On coupera les membres qui dépassent la dimension idoine, on étirera les nains pour leur donner bonne mesure. Quel est l’iranien qui ne porte pas aujourd’hui turban et barbe ? Quelle est l’iranienne qui sort sans foulard ?
Dans un glossaire en fin d’ouvrage, l’auteur donne la définition de l’expression « Barbus : on les appelle aussi les FM (Frères Musulmans), ce sont les intégristes. »
Plus de trente ans plus tard, les Frères Musulmans en France contrôlent les principales écoles de formation d’imams, les principales grandes mosquées ( Mulhouse, Nantes, Hérouville, Créteil, Toulouse, Reims etc.), et les principales associations d’activistes capables de mobiliser les foules. Comme lors de la marche contre l’islamophobie de novembre 2019, où des députés de gauche vinrent en nombre écouter religieusement les meneurs appelant à l’abrogation des lois de 2004 et 2010 contre le hijab à l’école et la burka dans les rues. Les opposants sont des « islamophobes » à éliminer. Que n’était-il pas temps dans les années quatre-vingt dix d’expulser tous les leaders fréristes étrangers, avant qu’ils ne se multiplient ? Aujourd’hui, le bras de fer tournerait aux émeutes, faute d’avoir pris au sérieux les Mimouni d’hier et les Sansal d’aujourd’hui.